Les entreprises sont souvent confrontées à des problématiques bien différentes selon le type de produit et leurs caractéristiques respectives. Il n’est pas évident d’adapter l’organisation, les processus et les outils en conséquence, parfois considérés comme trop rigides et inadaptés « à tel ou tel cas métier » : on dit souvent qu’une Supply Chain « one-size does not fit all ».
Pour donner des éléments de réponse, à savoir quelle(s) configuration(s) Supply Chain mettre en place en fonction de la segmentation des produits, afin de s’adapter aux problématiques respectives de chacun des segments, j’ai choisi de vous présenter les travaux de Fisher (1997) et de Christopher et Towill (2000).
Fisher (1997) divise les produits en deux catégories : produits fonctionnels et produits innovants. Selon lui, la plupart des dysfonctionnements dans les Supply Chain des entreprises trouvent leur cause dans l’inadéquation entre catégories de produits et configurations Supply Chain.
Les produits fonctionnels répondent à des besoins fondamentaux, sont consommés par un grand nombre de clients, en quantités stables et à fréquence régulière. Bien souvent le produit fonctionnel est simple, non personnalisable, et avec un cycle de vie long. Cette facilité relative à satisfaire les clients attire inexorablement la concurrence, atténuant en conséquence les marges. Certaines entreprises se démarquent en innovant.
Un produit innovant est un produit ayant un cycle de vie très court et un taux de renouvellement fort pour rester au rang d’innovation. Sa demande n’est pas prévisible, on parle de volatilité de la demande. Il est quasi-unique sur le marché, personnalisable et sa marge est élevée.
Pour comprendre comment sont pilotés ces produits aux problématiques bien distinctes, Fisher introduit une notion de « fonction » de la Supply Chain : « physique » et « adéquation marché ».
La fonction physique de la Supply Chain, de manière très simple et imagée, est de convertir des matières premières en composants, puis en produits finis, pour enfin les acheminer jusqu’à un point final de consommation. La fonction « adéquation marché » est d’assurer que la variété de produits acheminée sur le marché est bien en adéquation avec les attentes des clients, en termes de quantité, qualité, délais, flexibilité, etc. ; autrement dit s’assurer que l’offre répond pleinement à la demande du client final.
Chacune de ces fonctions intègre des coûts de fonctionnement différents. Les coûts physiques sont les coûts de production, de transport et de stockage. Les coûts «adéquation marché » sont d’une part les manques à gagner et les surstocks de produits à marges élevées et d’autre part les ventes manquées et les coûts des ruptures dans le cas où la demande est supérieure à l’offre.
Christopher et Towill (2000) reprennent dans leurs travaux ces notions et définissent un coût total comme étant la somme des coûts « physiques » et des coûts « adéquation marché » présentés par Fisher.
Ainsi, la demande stable et prévisible des produits fonctionnels permet aux entreprises de répondre très précisément aux attentes des clients, et d’assurer la fonction « adéquation marché » relativement facilement. Les efforts sont alors focalisés sur la fonction physique, pour minimiser le coût total de la Supply Chain, avec un engagement de taux de service aux clients.
Une telle approche ne peut être utilisée avec des produits innovants. La demande est volatile et très peu prévisible. Dans ce cas, les coûts « adéquation marché » sont bien plus importants que les coûts « physiques » énoncés précédemment. C’est donc bien la fonction « adéquation marché» qui est primordiale dans la gestion des produits innovants. La problématique ici n’est plus de minimiser un coût global, mais bien de réagir aux changements du marché pour satisfaire au mieux les clients, à un coût optimal. C’est donc positionner des capacités de production et des stocks à des endroits stratégiques, ainsi que minimiser les délais pour gagner en flexibilité et réactivité.
Mason-Jones et al. (2000) présente le concept de « Leagility » comme étant une combinaison du lean et de l’agilité en utilisant le point de découplage – ou différenciation retardée. A l’aide de ce nouveau concept, Christopher et Towill (2002)suggère 4 configurations supply chain génériques en fonction de la typologie de la demande et de la durée des délais :La fonction physique de la Supply Chain appliquée aux produits fonctionnels définit une configuration « LEAN Supply », tandis que la fonction « adéquation marché » appliquée aux produits innovants définit une configuration « AGILE Supply». Christopher et Towill (2000).Le choix de concepts « Agile » ou « Lean » n’est donc pas un simple phénomène de mode ; c’est bien la segmentation des produits et de leurs typologies de demande qui va donner la configuration Supply Chain gagnante, c’est-à-dire celle qui soit la plus profitable et qui satisfasse au mieux le client final.
Et vous, vos produits sont-ils fonctionnels ou innovants ?Benoit Graux
Consultant Senior Citwell