Il y a quelques mois de cela, nous disions qu’une période de crise est l’opportunité de bousculer les lignes établies et d’investir pour innover… J’ai donc envie de donner un peu de grain à moudre pour ceux qui veulent stimuler la créativité et la réactivité de leurs équipes.
Tout d’abord, tous les professionnels de la Supply-Chain s’accordent à dire que l’évolution des technologies de l’information fut une condition nécessaire pour accélérer les flux physiques et augmenter la réactivité des entreprises face aux contraintes sur leurs processus.
Mais donc, si l’évolution des technologies modifie notre métier, que nous réserve la révolution des médias sociaux ? « Rien », « probablement pas grand-chose » et « je ne vois pas bien quoi » sont les premières réponses citées par les professionnels interrogés sur le sujet, et Dilbert ne contredira pas cet idée.
Et pourtant, citons Tony Martins, le VP Supply Chain de Teva Canada : « ce qui est recherché , c’est une Supply Chain à réaction rapide…. La plupart des gens qui travaillent dans un contexte matériel et parlent de la vitesse des supply chains pensent au dialogue système à système entre entreprises et à des processus. Mais en réalité, la vitesse de la chaîne n’est pas reliée au système utilisé dans les différentes entreprises – tout est lié aux gens, et aux gens parlant aux gens. »
Les réseaux sociaux, en s’inscrivant totalement dans cette logique de « gens parlant aux gens », représentent donc des opportunités pertinentes de transformation de la Supply-Chain vers la réponse rapide, en proposant une vraie rupture par rapport aux pratiques actuelles.
- Les médias sociaux pour la réactivité interne
Bien que lorsque le « social business » ait évoqué les premières idées d’utilisation concernant le lien vers l’extérieur de l’entreprise (clients, fournisseurs), la plus grande révolution se déroulera probablement en interne de l’entreprise.
En effet l’approche « réseaux sociaux » bouscule la vision encore silo-isée des départements de l’entreprise et devrait permettre de faire émerger de nouvelles idées, de nouvelles réponses aux crises en permettant l’agrégation de contributions au-delà des frontières d’un service ou même d’un site. Cela reprend l’idée d’une équipe multi-compétente et multi-hiérarchique chère aux démarches Lean et en particulier aux projets DMAIC, mais en s’affranchissant de la désignation des participants par le chef ou le Lean Champion, et en faisant fi également des problématiques logistiques.
Toujours chez Teva Pharmaceuticals Canada, un outil d’entreprise sociale (par Moxie Software) a été mis en place en interne et est utilisé pour faire des « appels à candidature » afin de résoudre des problèmes opérationnels critiques. Des « équipes » créées spontanément et d’horizons différents travaillent alors sur la problématique depuis leurs localisations respectives, dans leurs temps non productifs (ou productif si le besoin est urgent), et sans management hiérarchique : c’est la « collaboration spontanée ». Les autocensures inhérentes au travail de groupe sous pression diminuent alors largement et les idées émergent et sont reprises, relayées par les technologies de l’instantané et du chat collaboratif. Le résultat chez eux est saisissant : en 4 mois ils ont réduit des temps de cycle en production de 40% et projettent d’en faire de nouveau autant en 4 mois.
Source : Moxie Software in Enterprise 2.0 Webcast with Teva Pharmaceutical Case Study
Bien évidemment cet exemple ne s’applique qu’à un environnement extrêmement dynamique où la réactivité est critique (ici, Teva doit savoir répondre aux ruptures des distributeurs pharmaciens très rapidement). A noter que ce fonctionnement n’affranchit pas de la notion (toujours chère au Lean) de remerciement de l’équipe. Ainsi, un canadien de l’Ouest sera invité à venir voir la réalisation qu’il a contribué à créer à Toronto.
- Les médias sociaux pour la collaboration externe
Du côté des relations externes, les outils sociaux peuvent apporter aux supply chain managers une meilleure réactivité face à l’évolution de la demande, qu’elle soit quantitative ou de conception. Ils permettent en effet de créer des « communautés » pour faciliter le dialogue multi-compétences entre client et fournisseur. C’est déjà l’objectif de tout supply-chain manager aujourd’hui, mais les barrières à la discussion directe « bureau d’étude client – ingénieur matières fournisseur » par exemple sont encore nombreuses. Grâce aux réseaux sociaux bien utilisés, des discussions entre experts client & fournisseur peuvent se déclarer plus facilement sans avoir la contrainte du déplacement sur le site ou de l’échange de mails perdus dans le trafic quotidien.
Teva Canada, toujours, indique avoir gagné 15 à 60% de Lead Time sur les livraisons fournisseurs, notamment dans le cas de « sauts » dans la demande. En effet, les équipes commerciales de Teva peuvent poster l’information et la rendre directement exploitable par les équipes opérationnelles Teva ET les équipes commerciales et opérationnelles du/des fournisseur(s) critique(s). Cela évite de devoir passer de manière séquentielle à travers les différents filtres : Commercial Teva > Service Client Teva > Planning Teva > Manufacturing Teva > Commercial Fournisseur > Planning fournisseur > Achats Teva > Commercial Teva > Planning Teva…, en garantissant un temps de réponse beaucoup plus court.
Source : Moxie Software in Enterprise 2.0 Webcast with Teva Pharmaceutical Case Study
Sur cet aspect de collaboration fournisseur, il reste quelques points à régler, notamment la gestion des limites de confidentialité (déjà parfois fortement ébréchées aujourd’hui, sans ces technologies de l’instantané). Gageons que ceux-ci ne seront pas plus bloquants que la problématique des prix visibles pour les concurrents à l’époque de l’essor du web.
De la même manière, un réseau rassemblant ses propres clients et ses fournisseurs, permettant d’identifier les notions de ruptures (chez des grossistes par exemple), peut apporter une réactivité très importante. Cependant la largeur du réseau doit être mûrement réfléchie, à la fois pour être capable de répondre aux sollicitations et pour se focaliser sur les besoins d’adaptation les plus importants pour le business.
- Un changement de culture ? Pas plus que la mise en place du Lean.
Ce changement de mode fonctionnement impacte cependant profondément la culture de l’entreprise, notamment dans la transmission de l’information. Le mettre en place demandera donc beaucoup d’investissement et une vraie conviction du management.
Le terrain est cependant connu : c’est exactement la même problématique que de mettre en place l’amélioration continue à travers le Lean dans des ateliers auparavant très hiérarchisés. De la même manière, les managers perdent le contrôle détaillé de ce qui se passe dans leurs équipes, car chaque individu est responsabilisé, et son autonomie et sa valeur ajoutée dans le progrès continu mises en avant.
Là où les managers pouvaient fonctionner selon l’adage « le savoir c’est le pouvoir », vérifiable lorsque les canaux d’information sont très contrôlés, avec les réseaux sociaux, le manager ne peut plus contrôler les flux d’information. Dans un environnement où tout le monde peut travailler et apporter des améliorations tous les jours, même un opérateur « à la base » peut solutionner des petits problèmes tous les jours.
Le plus grand obstacle à la mise en place sera donc la structure historique de toutes les entreprises (françaises au moins) : hiérarchique et plus ou moins compartimentée. On a alors une double résistance au changement : des individus bien sûr, mais aussi celle induite par la structure elle-même. Cependant, si les employés sont convaincus et utilisateurs avant leur hiérarchie, le poids de la structure disparaîtra probablement très rapidement dans l’environnement virtuel, bien plus que dans une réunion physique où la position ou les soupirs du chef sont extrêmement prégnants.
Tony Martins, le VP Supply Chain de Teva Ca, a lancé les premières réflexions sur les outils collaboratifs dans l’entreprise en 2005, avec l’utilisation de Sharepoint. Il a donc fallu 5 ans avant que les pratiques de « collaboration spontanée » ne soient concrètement assimilées par l’entreprise. Et encore, reste-t-il le pas d’intégrer ces outils collaboratifs aux outils transactionnels.
- Reste à quantifier les gains
Donc, pour revenir au strip de Dilbert, il reste encore en effet à savoir quantifier la valeur ajoutée business apportée par les technologies sociales dans les processus supply-chain tels que gérés aujourd’hui ? Quelle économie ? Quel gain de productivité ou réduction de temps de cycle ? Peu savent le faire aujourd’hui , ce qui complique l’adhésion à part les directions. Mais revenons 15 ans en arrière : qui aurait su dire que le web allait à ce point transformer profondément les marchés et modes de fonctionnement, et permettre les essors (ou effondrements) de CA liés ?
Gageons que les « early adopters » auront un temps d’avance sur les opportunités de développement liées à ce mode de fonctionnement, et espérons que ces entreprises ayant le goût du risque seront aussi bien récompensées que Toyota avec le Lean ou GE avec le 6 sigma !
Comme le dit Michael D’Angelo de Volkswagen, dans cinq ans on ne parlera plus de réseaux sociaux dans le Supply Chain Management – ce sera juste le Supply Chain Management.
Anaïs Leblanc
Manager Citwell
Mais pas suffisante, sans quoi les cabinets spécialisés n’existeraient pas…
Bien qu’une VSM pourrait déjà aider à quantifier les gains sur les parties « administratives » des processus, y compris composition d’équipe, etc.