Depuis près de cent ans, la culture du « command and control » reste dominante dans la recherche de gestion efficace des entreprises. Mais le monde a bien changé depuis le XXIe siècle, de nouveaux modèles d’affaires commencent à apparaître pour tenter de répondre aux immenses défis que doivent relever les dirigeants. Le mouvement va se poursuivre et s’accélérer pour permettre aux entreprises de s’adapter à un monde nouveau. Réflexions et projections autour des organisations et du management de demain.
Le monde est devenu bien plus instable et imprévisible, en témoignent les multiples crises – sanitaires, économiques, géopolitiques, climatiques – survenues ces dernières années. Les pressions exercées sur l’entreprise par son « dehors » ou son « dedans » sont bien plus nombreuses, plurielles et fortes. Les dirigeants et plus globalement les managers doivent faire face à des niveaux de complexité inédits dans la gestion de leurs activités. Auparavant, pour assurer la performance d’une organisation, il paraissait normal d’avoir d’un côté ceux qui décident et de l’autre ceux qui exécutent. Il était commun de se focaliser d’abord sur la satisfaction du client et la profitabilité de l’entreprise,
en mettant en second plan des actions portant sur des aspects sociétaux ou environnementaux, voire en les renvoyant dans la sphère privée. Mais à présent pour durer et performer, il est de moins en moins possible de rester dans ces paradigmes-là. Les entreprises ont besoin de faire un pas de côté. Elles doivent se réinterroger sur leurs missions et sur les modes de fonctionnement associés
Le manager agile, l’organisation responsabilisante : un nouvel univers de coopération
Quelles que soient les formes futures d’organisation dans 20 ans, il y aura toujours des managers d’équipes. Mais leur rôle et leurs postures auront bien évolué par rapport à ce que nous observons en grande majorité encore aujourd’hui. En effet, historiquement construit sur la posture du sachant, celui qui sait et que l’on écoute, le manager de
demain devra faire montre d’engagement et d’adaptabilité pour évoluer dans un monde de plus en plus complexe. Son rôle s’illustrera toujours par sa capacité à porter et incarner la culture de l’entreprise. Il endossera aussi la fonction de
facilitateur plutôt que celui de superviseur ; créera les conditions idéales d’expression des talents de
son équipe ; la poussera à être plus autonome, à interagir et développer ses compétences ; et prendra en compte l’individualité de chacun en apprivoisant ainsi l’hyperpersonnalisation de
l’expérience employée. Accompagnateur du changement et de l’apprentissage continu, il permettra le développement du plein potentiel du collectif et de chaque salarié de son équipe.
Pour réussir, ce manager coach devra se libérer des carcans traditionnels et dépasser sa simple posture hiérarchique historique, poussé par la forte probabilité, qu’à l’avenir, l’obéissance naturelle à la verticalité disparaisse. Enfin, la chaîne de décision devant être raccourcie pour pouvoir faire face à un monde incertain, les managers agiront au sein
d’organisations responsabilisantes, décentralisées, configurées en réseaux, où la subsidiarité et la coopération transparente formeront les piliers d’une entreprise résiliente et agile. D’ici 20 ans, l’organisation des entreprises sera peut-être même encore plus distributive, constituée d’une multitude de cellules indépendantes elles-mêmes propriétaires de leur outil de travail. Un pied de nez de l’histoire avec un retour au modèle préindustriel de type manufacture dispersée de la Fabrique lyonnaise ? Pourquoi pas.
Rendre l’entreprise responsable et engagée
Dans 20 ans, au-delà du management et de l’organisation, c’est également un tout autre modèle de gouvernance, engageant toutes les parties prenantes qui prendra vie. Sous les pressions conjuguées du réglementaire, des clients et des salariés, l’entreprise de demain sera responsable et engagée. S’inscrivant dans les limites planétaires, elle devra être capable de concilier des objectifs multiples sur les 3 dimensions clés : Planet, Profit, People (3P). Pour attirer les talents et les investisseurs, il conviendra de prendre en compte davantage les exigences en matière de diversité, d’égalité et d’inclusion, mais aussi les externalités de l’entreprise, notamment son empreinte carbone. Les entreprises se doteront d’une raison d’être à impact social, sociétal et environnemental positif. Des obligations de reporting extra-financier nécessiteront que les entreprises adaptent les comités d’audit et de surveillance en conséquence. Ce basculement vers une responsabilité élargie de l’entreprise est inéluctable. Il a déjà commencé et va se poursuivre malgré les soubresauts politiques car, dans le temps long, c’est bien là le sens de l’histoire. Dans 20 ans, contrainte par les limites planétaires et les tensions géopolitiques, la croissance de l’économie sera portée en majorité par des entreprises ayant basculé vers des modèles d’affaires circulaires voire régénératifs qui, devenus profitables, seront peu à peu la norme.
Tirer la meilleure partie des nouvelles technologies
Les révolutions technologiques s’enchainent et leur diffusion s’accélère. Aujourd’hui, les entreprises ont complètement digéré la révolution apportée par les outils de la bureautique, elles s’adaptent encore aux potentialités offertes par les applications et autres solutions digitales sur mesure. Elles commencent depuis peu à appréhender les bénéfices de l’Intelligence Artificielle (IA). C’est pourquoi, à cette cadence, nul ne sait véritablement si dans 20 ans les entreprises auront digéré la dernière révolution de l’IA ou si elles seront en train de vivre une 4ième ou 5ième révolution technologique. Mais à coup sûr, poussée par la quête permanente de productivité et de vitesse, l’entreprise sera hyperconnectée et multipliera les équipes orientées vers l’IA et la science des données. Les opérations quotidiennes seront en très grande majorité pilotées par des algorithmes, avec des humains qui superviseront et corrigeront ces processus d’IA. Cela permettra à un très grand nombre d’opérationnels de se concentrer sur des tâches à plus forte valeur ajoutée. Les prises de décision pourraient aussi être totalement pilotées par de l’analytique avancée via l’essor de l’IA générative et ce, de l’opérateur au dirigeant.
L’utilisation des technologies impose une question fondamentale d’investissement toujours plus en avant dans la recherche de performance ou de se mettre au service d’une structuration et d’une organisation de l’entreprise plus résilientes. Comme l’explique Olivier Hamant dans son ouvrage « la troisième voie du vivant », le monde du vivant est sous-optimal avec des redondances lui permettant d’absorber les chocs pour garantir sa robustesse. Dans un monde futur plus instable et imprévisible, les entreprises auront besoin de développer leur robustesse, or les technologies offrent un levier intéressant pour le faire.
Il est probable que les entreprises, au moins une grande majorité d’entre elles, n’iront pas jusqu’à un usage intensif de l’IA tourné vers l’hyper performance. Cela les déshumaniserait, les mettrait en contradiction avec leur raison d’être à impact
social positif et placerait la société civile en forte tension. Sans compter la potentielle fragilisation et dépendance que cela engendrerait pour elles.
En somme, dans 20 ans, nous pensons que le monde de l’entreprise aura fait sa mue vers de nouveaux modèles économiques et types de gouvernance, déjà émergents et observables. Ces modèles seront en passe de devenir la norme car ils sont les seuls permettant de relever les défis sociétaux et environnementaux tout en maintenant le monde économique dans les limites planétaires et au-dessus des planchers sociaux (suivant la théorie du Donut de Kate Raworth). Ils offrent, et ce n’est pas des moindres, un axe de développement enthousiasmant pour toutes les parties prenantes de l’entreprise et la voie de pérennité et de sa rentabilité de long terme.